La candidature de Coluche

Intro :
 Nous sommes en 1981. Valéry Giscard d’Estaing est président de la République. Dans six mois, il remettra son titre en jeu avec comme principal adversaire François Mitterrand. Pendant ce temps, Coluche remplit toutes les salles de spectacle. C’est le comique français le plus populaire. Pourtant, il décide de tout laisser tomber pour aller vivre en famille sur une île. Il a 36 ans à l’époque. Coluche, l’homme drôle, tendre, insolent et surtout incontrôlable. Il déteste toutes les institutions et surtout les politiques. C’est en pensant à eux qu’il va se lancer dans la campagne présidentielle. Habitués à ses coups d’éclats, les gens prennent cela comme une simple blague. Tout le monde rit … jusqu’à ce que des sondages le prônent à 16 % d’avis favorables. C’est à ce moment que la machine « Anti-Coluche » va se lancer. La farce est devenue une vraie bombe politique.

Une idée folle
Les raisons qui poussent Coluche à se présenter aux élections présidentielles n'ont rien de politique au départ. Il s'agit en fait d'une vengeance. En février 1980, Coluche est une star. Il fait rire toute la France. Tous les soirs, il fait salle comble. RMC, en perte de vitesse, décide d'embaucher Coluche : succès immédiat. RMC est satisfait.
Cependant, Coluche est incontrôlable et les insultes commencent à pleuvoir. L'humoriste fait monter l'audience mais il est vulgaire et son humour ne passe pas du tout à Monaco. RMC reçoit de nombreux coups de téléphone et de lettres de mécontentement.  Puis vient le mécontentement de la famille princière, actionnaire de RMC. Un proche collaborateur du prince Rainier appelle le patron de la station et lui dit : "C'est vous ou lui, il ne faut pas garder Coluche si vous voulez continuer " .Après seulement deux semaines sur RMC, Coluche est remercié. Coluche, qui ne veut pas se laisser bâillonner décide de prendre sa revanche. Le jour même de son renvoi, un de ses amis, Romain GOUPIL, lui suggère une idée folle. Il lui dit alors : "Y’a une seule façon de les bloquer, c’est de se présenter à l’élection présidentielle ». C’est le seul moyen d’échapper à la censure. Un comique dans la course à l’Élysée. Coluche trouve l’idée excellente et décide de devenir candidat à l’élection présidentielle de mai 1981.   

Coluche candidat
L’homme à la salopette veut montrer qu’il est capable de se lancer dans la course à l’Élysée. Cependant, il n’a pas de parti politique et donc pour être crédible , il doit préparer minutieusement un programme. Pendant des mois, Jean-Michel Vaguelzi (secrétaire de Coluche 1980-1986) et Romain Goupil (cinéaste) vont l’aider. Ils vont décider de faire de Coluche le porte-parole des marginaux. Le potentiel est énorme. Pour annoncer sa candidature, il va choisir le Théâtre du Gymnase à Paris, là où il fait ses galas. Il va inviter toute la presse : le Figaro, Le Monde, France-soir, Libération sont présents. Son objectif est de faire un coup médiatique. Coluche s’est présenté à la conférence de presse en prévoyant toutes les questions possibles. Le 30 octobre 1980, théâtre du Gymnase, c’est le grand jour. Une centaine de journalistes sont présents. Ils assistent à la conférence de presse. Il  annonce officiellement qu’il est candidat à la présidence de la République. Il présente clairement son objectif : être le représentant de tout les exclus qui ne sont jamais représentés. A la fin de sa conférence de presse, Coluche rappelle qu’il est avant tout un provocateur en disant : »Ils nous prennent pour des imbéciles, alors votons pour un imbécile ». Tout le monde pense alors à une immense farce. Le lendemain, Coluche candidat fait la une de tout les journaux. Personne ne le prend au sérieux. Cependant, ils vont vite s’apercevoir qu’ils ont eu tort et certains ne vont plus du tout sourire.

Coluche président !
En quelques semaines, Coluche l’amuseur va vite devenir un des hommes politiques les plus à craindre. Le 14 décembre 1980, une information inattendue sort à la une du journal du Dimanche. Coluche est crédité de 16% d’intentions de votes au premier tour. Coluche, surpris, n’arrive pas à y croire. C’est près de 2 français sur 10 prêts à voter pour lui. Ce sondage fait l’effet d’une bombe atomique. Pour Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand, Coluche n’est plus un amuseur : c’est un véritable concurrent. En effet un trouble-fête fait 5%, au mieux même pas 10%. Mais là, Coluche fait 16%. Du jour au lendemain, l’humoriste devient un phénomène de société : on parle alors de la France de Coluche. Des centaines de personnalités lui apportent leur soutient. Parmi eux, Michel Drucker, Eddy Mitchell, France Gall...(voir liste). Cette fois Coluche y croit vraiment. Il dit alors à son copain Romain GOUPIL : »Je suis investi d’une mission nationale, à hauteur de 16% de gens qui vont voter pour moi ». Ca devient un enjeu et la blague devient sérieuse.
Coluche devient alors un réel danger.

Mitterrand a peur
La candidature de Coluche préoccupe François Mitterrand. Coluche intéresse ceux qui seraient prêts à voter pour lui. En décembre, un autre quotidien sort un sondage : Valéry Giscard d’Estaing a 32% d’intentions de vote alors que François Mitterrand n’en a que 18%. Pour le PS, la situation est dramatique. Coluche, quant à lui, totalise 12.5% des voix. C’est une réelle menace qui peut coûter l’élection à Mitterrand. Celui-ci va confier une mission à deux de ses conseillers : Jean Glavany et Gérard Cole. Ils vont prendre contact avec Coluche. Ce dernier n’est pas surpris mais se méfie : il va se protéger en installant un magnétophone d’écoute sur son téléphone. Les deux conseillers se rendent chez Coluche. Cependant ils vont faire des erreurs en demandant ce que veut Coluche. Ils vont également lui proposer de se retirer et en échange, Mitterrand soutiendra ses idées. Au bout de 20 minutes d’entretien, il leur explique clairement qu’il n’est pas décidé à se retirer. C’est un échec pour Mitterrand. Mais il n’est pas le seul contre Coluche : il y a Valéry Giscard d’Estaing.

Le bouc-émmissaire :
Valéry Giscard d’Estaing est au pouvoir depuis 7 ans. Avec 32% d’intentions de votes au premier tour, sa réélection ne fait pratiquement aucun doute. Mais Coluche peut être un terrible adversaire. A l’Élysée, la peur commence à s’installer. Depuis son élection, Valéry Giscard d’Estaing ne cesse d’être la cible de l’humoriste. Pendant toute sa campagne, Coluche va tout faire pour détruire l’image du président et il est capable de faire vraiment mal si il ressort le scandale le plus retentissant du septennat de Giscard d’Estaing : l’affaire des diamants : Le 10 octobre 1979, le Canard Enchaîné sort un scoop à la une : « Quand Giscard empochait les diamants de Bocassa ». Le journal révèle que Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre, a accepté des diamants comme cadeau du chef de l’état de Centre-Afrique, l’empereur Bocassa. Les diamants deviennent une véritable affaire d’état, un scandale que le président veut faire oublier.
A moins de 6 mois des élections présidentielles, l’Élysée a compris que Coluche risque de se servir des diamants pour faire campagne. Ce risque, l’Élysée ne peut le tolérer. Le 14 décembre 1980, Bernard Rideau adresse au président une note écrite consacrée à la menace que représente Coluche. Voilà ce qu’il  dit : »Maintenant, il faut que l’on arrête de prendre cela comme une bouffonnerie ». Alors pour s’assurer que Coluche ne soit plus dangereux, l’Élysée a une idée toute simple : faire en sorte que Coluche ne puisse plus faire entendre sa voix

Coluche censuré :
Parce qu’il est candidat à la présidence de la République, le comique le plus populaire de France va être interdit d’antenne pendant toute la durée de sa campagne. Du jour au lendemain, on en entend plus parler. Pour l’interdire d’antenne, l’Élysée compte sur son pouvoir. En 1980, toutes les chaînes de télévision et certaines radios appartiennent à l’Etat. Voici comment le gouvernement a demandé aux chaînes de Télé et radios publiques que Coluche soit interdit d’antenne : « Si vous continuez à recevoir Coluche, votre siège devient éjectable ». Fin novembre 1980, Coluche doit intervenir sur Radio 7, une des radios de Radio France, pour parler de sa candidature. Mais quelques jours avant l’émission, le responsable de la station, Patrick Meyer, reçoit un coup de fil de sa direction qui lui demande de ne pas programmer Coluche. Pour protester contre cette décision, Patrick Meyer décide de démissionner. Coluche en est maintenant persuadé : l’affaire Radio 7 marque le début d’une longue période de censure. D’un seul coup, plus personne n’entend parler de Coluche. Désormais, seuls les journalistes étrangers s’intéressent à Coluche. Chaque fois qu’il est invité, les questions portent sur sa censure. Seule une émission de divertissement va accepter de recevoir Coluche : le Collaro- Show. Stéphane Collaro et Jean Roucas ont décidé de donner de l’aide à leur ami et l’invitent à l’émission du 31 décembre 1980. Coluche a droit à l’antenne et il va s’en donner à cœur joie : son sketch est une parodie du conseil des ministres. Coluche y incarne un président de la République porté sur la bouteille. Il en profite pour régler ses comptes avec Valéry Giscard d’Estaing. Le sketch fait grincer les dents des responsables de la chaîne. Quelques heures avant la diffusion de l’émission, la direction d’Antenne 2 fait savoir à Stéphane Collaro qu’il est hors de question que le sketch soit diffusé. Il va tout tenter pour faire tomber la censure mais en vain. L’Élysée a réussi à museler l’humoriste mais Coluche est bien décidé à continuer. Le pouvoir va alors employer les grands moyens pour l’arrêter.

Un candidat à abattre :
Coluche persiste à être candidat car il est toujours crédité à plus de 10% des voix. La censure a été inutile. Le pouvoir va alors changer de stratégie pour l’arrêter. L’Élysée compte sur l’efficacité d’un seul homme : Christian Bonnet, ministre de l’Intérieur. Celui-ci dit : « Ce qui me met en colère, c’est que l’élection du président de la République devient une espèce de comédie. Et bien c’est autre chose qu’une comédie, l’élection d’un président de la République ». Un journaliste lui a demandé alors ce qu’il a envie de faire à ce moment là et il a répondu : «  Envie de taper dessus». Le ministère de l’Intérieur va alors confier une mission secrète à un groupe de policiers réputé pour ses méthodes expéditives : Le groupe Dauvé. Une dizaine d’hommes issus des Renseignements Généraux(les RG) , le service de renseignements de la police. Ils travaillent à l’abri des regards, sous les toits de la préfecture de police. Un ancien membre raconte : « Le groupe Dauvé, ce ne sont pas des enfants de coeur. Il fallait faire pression sur Coluche pour mettre un terme à sa candidature ». Les policiers vont tout rechercher sur la vie de Coluche. Il va être suivi et espionné jour et nuit pendant toute sa candidature. Sa maison sera sous haute surveillance (visuelle et écoute téléphonique). Mais les RG s’attaquent à sa vie privée. Dans une note, on peut lire que l’humoriste mène « une vie dissolue où le sexe et l’alcool font bon ménage ». L’objectif du pouvoir est de salir l’humoriste. Pour y parvenir les RG ont décidé de transmettre le dossier à la presse. Le 17 décembre 1980, à la une du magazine L’Express :  « La vraie nature de Coluche ». Le journal raconte notamment que l’humoriste a été condamné à 3000 Francs d’amende pour outrages à un agent de police. Quelques jours plus tard, c’est le journal Minute qui publie une fiche de police de Coluche vieille de 20 ans pour une affaire de vol. Cependant il n’a jamais été condamné pour cela. Le journal intitule l’article : « La bavure de Coluche ». Malgré les pressions, Coluche n’abandonne pas. Le groupe Dauvé va alors utiliser des moyens radicaux : terroriser Coluche. Pour ce faire, les RG vont se servir d’un évènement dramatique survenu dans l’entourage de Coluche : la mort d’un proche de l’artiste. René Gorlin a été tué de 2 balles dans la tête. Coluche est interpellé par la brigade criminelle. Devant les caméras, le comique est sous le choc. Coluche est convaincu que cette mort est liée à sa candidature. En vérité, le meurtre n’ a rien à voir. Après une semaine d’enquête, la police l’a compris mais décide de ne rien dire à l’artiste. Coluche est maintenant vulnérable et les policiers en profitent pour lui faire comprendre qu’il peut être le prochain sur la liste. Deux jours plus tard, Coluche reçoit une lettre anonyme écrite grâce à des mots découpés dans du papier journal. Cette lettre dit : « Coluche attention à la mort ». Les auteurs de cette lettre ne sont autres que les policiers du groupe Dauvé. Ils veulent faire croire qu’ils pourraient aller plus loin. Coluche a peur. Les RG enfoncent encore le clou : 6 ans avant sa mort à moto, pure coïncidence, les policiers appellent l’humoriste pour lui expliquer que sa passion pour les deux roues pourrait lui être fatale. Pour ce faire, ils lui disent qu’il pourrait déraper même sur une route qui n’est pas mouillée. Harcèlement téléphonique, lettres de menace de mort, censure, après 5 mois de campagne, Coluche est à bout. Le 6 avril 1981, Coluche décide de tout arrêter et invite une centaine de journalistes. Il dit clairement que comme ça ne le fait plus marrer, il préfère arrêter.

Épilogue :
Le 10 mai 1981, Mitterrand est élu président de la République. Coluche n’y ait pas totalement étranger. Quand il s’est retiré, il a appelé à soutenir Mitterrand. Le soir de l’élection, Coluche est invité au siège du PS. Il réapparaît sur les écrans. Ce sera avec le soutient de Mitterrand qu’il créera quelques années plus tard les Restos du coeur.

 

Bino.
(D'après l'émission secrets d'actualité de M6)

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